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Les pièges d'un billet tour du monde
Ce billet est directiment inspiré de notre expérience avec l'agence de voyage en ligne "Zip World". Dans les faits, les billets et l'agence sont étroitement liés, mais il nous semble que certains éléments de fonctionnement sont communs à tous les billets TDM, peu importe le prestataire. Nous voulions vous partager notre avis sur ce système de billets ici.
Dans le prochain article nous donnerons notre retour d'expérience sur Zip World.Au commencement
Une fois la liste des pays établie et les punaises accrochées sur la mappemonde du salon, il est fort probable qu'il vous faille un paquet de ficelle pour relier tous ces points entre eux. Après s'être renseigné sur le prix correspondant à 1 cm de ficelle en bateau cargot ou en avion avec un vol classique, on comprend vite qu'il va falloir trouver une astuce si l'on ne veut pas dépenser 75% de son budget voyage chez Air France...
Fort heureusement pour nous, des âmes charitables se sont penchées sur notre cas et ont imaginé une solution parfaite à nos problèmes: le billet tour du monde.Voyons ça de plus près...
Les promesses
- C'est économique: ramené au nombre de kilomètres parcourus, c'est vrai que le prix peut parfois être vraiment intéressant comparé au prix d'achats cumulés de billets secs
- C'est simple: on donne son itinéraire prévisionnel à une agence spécialisée, quelques jours plus tard on a un devis tout fait sans passer des heures sur internet à essayer de tout planifier.
- C'est souple: une modification, un imprévu? Pas de problèmes, on peut changer ses dates (parfois sans frais) et même modifier son itinéraire en cours de voyage! Un petit mail et c'est tout!
- C'est pratique: un interlocuteur unique pour toutes vos demandes, et encore une fois c'est lui qui se charge de la partie billetterie s'il y a des modifications à effectuer.
- C'est sécurisant: surtout pour les vols inter-continentaux, on est sûr d'avoir sa place et c'est un problème de moins à gérer en voyage. Et puis en cas de problème, on peut toujours contacter l'agence n'est ce pas?
Si avec ça vous n'êtes pas convaincus que le billet TDM est LA solution, je ne sais pas ce qu'il vous faut!
Les faits
Dans les faits, le système "billet TDM" est une grosse boîte noire: à moins d'être un voyageur averti ou "du milieu", c'est difficile d'en connaître exactement tous les rouages. Comment ces agences font elles pour avoir des prix aussi bas? Ce n'est pas par bonté de coeur, il y a forcément une contre partie quelque part. Mais l'information est impossible à trouver.
Comment faire pour tester une boîte noire alors? C'est simple, on la stimule en entrée et on regarde la sortie... Nous avons testé pour vous! Les points qui vont suivre sont plus ou moins inspirés de notre propre expérience et de nos analyses ; on peut donc se tromper sur un détail mais on pense avoir à peu près cerné correctement le fonctionnement du système...Vous êtes un world traveler...
Les agences ne sont en fait pas maitresses de ce qu'elle vous vendent, elles dépendent des compagnies. Par exemple, Zip World pour des voyages en Asie / Océanie utilise Qantas Airlines. Et pour ces compagnies, vous n'êtes pas un voyageur ordinaire. Quand vous regardez sur votre bllet électronique, vous pouvez parfois lire "classe World Traveler" au lieu de la "classe éco" habituelle. Une petite distinction sémantique qui prend tout son sens lorsque vous voulez procéder à quelques modifications de parcours...
Le changement de date par exemple. Une simple formalité pensez vous? Ça dépend. Parce que voyez vous, la compagnie aérienne ça ne l'intéresse pas d'avoir un avion rempli de "world traveler". Elle préfère les simples voyageurs qui pour le même trajet que vous ont payé plus cher! D'ailleurs, à n'en pas douter en cas de surbooking c'est vous qui allez sauter si l'avion est complet lors de l'embarquement...
Bref, notre grande amie Qantas (on va parler de ce que l'on connait mais je suis sûr qu'elle n'est ni meilleure ni plus méchante qu'une autre) a son petit quota de world traveler par avion. Et si ce quota est atteint, vous allez avoir un problème pour changer de date car on va vous dire "désolé mais c'est complet". Complet? Vous faites une simulation sur un vol qantas en direct et vous trouvez pléthore de billets disponibles pour toutes les dates que vous voulez... Peut être, mais vous n'y avez pas droit car la compagnie a atteint son quota de World Traveler!
Donc on va vous proposer une autre date oui, mais potentiellement assez éloignée de la date de départ (une ou plusieurs semaines). Vous pouvez aussi avoir de la chance, ça dépend forcément du lieu et de la période.Le cas qui lui est associé est le changement d'itinéraire: on appelle ça le re-routing. Cela permet de modfier son itinéraire en cours de route selon vos envies. Pratique pour rajouter un crochet sur une île du pacifique non? Ça, c'est le cas idéal. Vous rajoutez un aller retour quelque part avant de reprendre le cours "normal" du voyage.
Il y a le cas moins idéal, celui où vous comptiez vous rendre en Nouvelle Zélande depuis Singapour (par exemple) mais où vous vous apercevez que vous ne pourrez pas arriver à temps pour prendre votre vol. Du coup vous demandez à votre agence qui demande à Qantas: "c'est possible de partir depuis Bangkok plutôt?". Sauf que la réponse peut être négative, comme ce qui nous est arrivé: "non, vous devez partir de Singapour, il n'y a plus de place à Bangkok". Etonnés, vous faites des simulations pour des vols Bangkok - Singapour - Nouvelle Zélande et vous trouvez plein de vols! Souvenez vous, vous êtes un world traveler, il n'y a plus de place pour vous!
Mais vous êtes plein de ressources, et vous constatez que les pays limitrophes sont aussi desservis par Qantas et que vous pouvez rejoindre la Nouvelle Zélande depuis ces aéroports. Sauf que "non, votre statut de World Traveler ne vous permet pas de décoller depuis ces aéroports, il n'y a que Bangkok (qui est complet pour vous) et Singapour". Bien sûr, si vous voulez changer la date de votre vol à Singapour pour vous laisser plus de marge, je vous laisse relire le paragraphe précédent...A ce moment là, vous vous retrouvez donc avec un billet absolument non modifiable - sauf à décaler de plusieurs semaines. Le problème là dedans, c'est qu'à aucun moment on ne vous a prévenu que peut être "oui on peut toujours changer mais ce n'est pas toujours évident, ne comptez pas trop dessus". Vous découvrez le truc une fois sur place, et la souplesse se transforme en contrainte: peu importe ce que vous aviez prévu, vous devez vous rendre à votre prochain vol en temps et en heure... Pour ceux qui voudraient prendre la tangeante, attendez de lire la suite......
... et un world traveler riche!
Dans le cas où vous ne pouvez ni changer de date ni d'aéroport, vous méditerez profondément sur la souplesse tant vantée par votre agence de voyage... mais ce n'est pas ça qui vous sortira du pétrin pour autant.
Vous envisagez donc de faire votre propre rerouting. Si vous ne pouvez pas embarquer sur votre vol Singapour Nouvelle Zélande, vous vous dites que vous pouvez toujours prendre un billet pour la nouvelle Zélande par vos propres moyens depuis là où vous êtes, puis reprendre le fil de votre voyage par la suite. Ça fait repayer un billet, mais a t-on encore le choix?
Et bien non! Vos billets sont liés entre eux, c'est à dire que si vous ne vous présentez pas à l'embarquement pour l'un de vos vols, tous les vols restants seront annulés par la compagnie! Et pour le remboursement, faut pas rêver... Donc, vous êtes obligés de prendre votre avion à l'heure dite! Astucieux non?Trop c'est trop... vous en avez marre de ce système pas souple du tout et vous voulez récupérer votre mise pour les vols non effectués. Après un bref calcul: somme totale - voyages effectués - frais d'annulation, il n'est pas trop tard pour récupérer une partie de son pécule.
Héhé, vous faites encore fausse route! Une fois le voyage commencé (donc le 1er vol effectué), le remboursement n'est plus possible (hors cas spéciaux type décès d'un membre de la famille proche, etc...). Libre à vous de ne pas prendre vos vols, mais vous ne récupérerez pas un centime...Finalement, vous vous dites que la nouvelle Zélande, c'est trop loin, trop compliqué, vous ne voulez plus y aller. Vous demandez donc un changement complet d'itinéraire (il y aura bien un aéroport avec une place de libre pour vous dans les 3 prochains mois quand même...).
Vos billets pour la NZ vous avaient coûté 3000€ (exemple estimé), vous imaginez donc que le rerouting vers une destination moins loin et moins énoreuse ne vous coûtera que les frais de dossiers, le nouveau billet étant forcément moins cher que l'ancien.
Et bien pas du tout, les 3000€ sont quasi perdus! Pour votre nouveau billet, il faudra le repayer en partie selon un calcul sorti du chapeau que l'on ne connait pas.
Pour notre cas, le nouveau billet a quand même été facturé 50% du prix "grand public" que nous aurions eu si on l'avait acheté par nous-même...
De plus, je doute fortement que la compagnie aérienne laisse un siège vacant dans un avion. Vous avez donc payé 3000€ (toujours un exemple) pour un billet que vous n'utiliserez pas au final, la compagnie peut donc revendre les sièges au moins au même tarif sinon plus cher, et de votre côté vous lui repayez encore un autre billet pour une autre destination. Le transport aérien, c'est rentable...Que reste t-il de ces belles promesses?
Pas grand chose... Vous l'aurez compris, ce genre de billet n'est pas souple du tout car cette pseudo souplesse repose sur un mécanisme que vous ne connaissez pas et donc que vous ne pouvez pas anticiper. Bien sûr, un lieu prisé dans des dates prisées est un facteur agravant, mais ce n'est qu'une partie de l'iceberg.
Quant au prix, il restera contenu si vous vous en tenez à votre planning, un re-routing pouvant faire exploser votre budget. En ce qui nous concerne, nous avons payé le double de ce que nous auraient coûté les vols en nous débrouillant nous même à la dernière minute.
Est ce que c'est pratique alors? Quand tout fonctionne bien oui. Parce que justement, avec ce genre de billet vous êtes dans une dépendance totale vis à vis de votre agence, pour le meilleur et pour le pire. Vous ne pouvez pas discuter vous même avec la compagnie aérienne qui propose le vol, l'agence est votre seul lien. Et au final, l'agence n'a pas vraiment de pouvoir, c'est la compagnie qui dicte si oui ou non il y aura des places pour vous.
L'agence rajoute donc un intermediaire entre vous et la compagnie, les délais de temps pour les questions réponses s'en trouvant rallongés. Et quand l'agence ne fait pas toujours correctement son boulot, croyez moi on a bien envie de prendre les choses en main par soi-même plutôt que d'attendre une réponse qui arrivera suivant le bon vouloir de la personne en charge de votre dossier... Et nous qui voulions ne pas nous prendre la tête avec les histoires d'avions pendant le voyage, que d'énervements au final!Reste la simplicité et la sécurité: indéniablement, entre passer 20 minutes à rentrer son itinéraire sur un site web et se coltiner tous les comparateurs de vol de la terre... Donc oui c'est un vrai argument.
Cela peut être sécurisant également, mais encore une fois à condition de ne pas toucher à son itinéraire. Regardez également si un numéro 24h/24h à appeler en cas d'urgence est disponible... sinon c'est à vous de gérer tout seul comme un grand en cas de pépin (vécu quand Air France nous a refusé l'embarquement de nos vélos pour le voyage retour si on ne payait pas de frais supplémentaires).Alors forcément notre jugement a été influencé par notre expérience avec Zip World, mais Zip World fonctionne sur le même principe que les autres agences. Donc à priori, les différences se feront à la marge car ça sera toujours la compagnie aérienne qui aura le dernier mot.
Les implications d'un billet tour du monde
Allez, on oublie toutes ces histoires de world traveler et de gros sous pour se poser quelques questions de fond.
Quel est fondamentalement le but de ce genre de billet? Vous faire manger du "miles" et du "stop". Vous avez vu, plus vous utilisez l'avion et plus ça semble rentable. "Ah ouais, pour 150€ de plus je peux me faire un petit stop à Beijing pour aller voir la muraille de chine, et pour à peine 250€ je peux aussi me rajouter un stop au Népal!". Bref, un bon moyen pour aller prendre une petite photo que vous pourrez afficher dans votre salon à votre retour: "j'ai fais tout ça!".
Génial. Sauf que malheureusement quand on prend un billet tout du monde, c'est que l'on a généralement une date de retour, donc une durée fixe. Et c'est très tentant de vouloir en faire un maximum "pour profiter", le billet tour du monde vous encourageant implicitement à "shooter du spot" pour vos photos de salon.
2 semaines par ci, 3 semaines par là, auxquelles il faut retirer quelques jours à chaque fois à cause de l'avion (le temps de se poser après l'aterrissage , et de prendre de la marge pour revenir prendre le vol suivant) . "Bon, on a 15 jours, qu'y a-t-il à voir ici?" La réponse risque fort de se trouver dans la rubrique "que faire en 15 jours" du Lonely Planet. Ne pas manquer l'incontournable je ne sais pas quoi, sans parler du grandiose bidule machin. Et vous voilà partis avec votre petit planning tel le lapin blanc dans Alice aux pays des merveilles qui court après le temps... Si j'osais un (gros) raccourci, je dirais que le billet TDM est au voyage ce que le crédit est à la consommation... avec le risque d'avoir eu les yeux plus gros que le ventre!Certes, je force un peu le trait mais pas tant que ça non plus. Sur la route, nous avons été surpris du nombre de gens correspondant pile poil à ce schéma. Alors chacun voyage bien comme il veut, et si c'est ce style de voyage que vous affectionnez, grand bien vous fasse! Cependant le net regorge de forums et de blogs où tout à chacun prétend chercher un voyage "authentique et qui nous ressemble". Même si cela n'est pas incompatible avec un billet tour du monde, le danger existe bel et bien de vouloir en faire trop.
L'autre effet pervers du billet TDM est le découpage de votre voyage en vacances successives de quelques semaines à chaque fois. L'avion crée une distortion de temps et d'espace qui à tendance à remettre "le compteur à zéro" après chaque atterissage. Pas de transition en douceur, on est catapulté d'une culture à une autre et on atterrit comme on peut à chaque fois.
Mais surtout, ce découpage en tronçons successifs restreint l'espace de liberté du voyageur, le circonscrivant à la durée entre 2 vols. On se sent bien quelque part? Impossible d'y rester. On tombe sur un récit de voyage enchanteur à propos d'un pays qui n'est pas sur notre liste? Ça va être compliqué de tout caser dans le planning...Alors plus les vols sont espacés, plus l'espace de liberté grandira. Mais voilà, la vrai liberté c'est quand même de ne pas avoir d'horizon. Et donc pas de vol prévu. Mettre fin à son voyage soi même est la plus belle des choses, même sur un laps de temps déterminé.
Ne pas prévoir, choisir au dernier moment et rechanger ses plans tous les 4 matins, c'est là le plaisir immense à portée de chaque voyageur, encore faut-il ne pas se le gâcher en voulant tout prévoir à l'avance.A cela s'ajoute que voyager sans avion, c'est re-découvrir l'éloge de la lenteur. Pourquoi prendre l'avion alors que l'on pourrait prendre 1 train, 2 bus, 1 taxi et marcher à pieds une petite heure pour aller je-ne-sais-où? A votre avis, où a t-on le plus de chance de faire de bonnes ou mauvaises rencontres?
Au final?
Vous l'aurez compris, nous ne sommes pas très fans des billets tour du monde! Leur manque de souplesse, leur coût prohibitif et la restriction de liberté en font pour nous un des pire mode de voyage.
Nous l'avons découvert en cours de route, affinant par la même occasion notre façon de voyager (qui a été bien différente de ce que nous imaginions au départ).Le but de ce billet à charge n'est pas de dire "les billets tour du monde c'est mal", mais plutôt de vous inciter à vous poser la question "est ce que ce mode de voyage correspond à ma façon de voyager?" Si la réponse est oui, tant mieux pour vous! Si vous avez un doute, abstenez vous... En cas d'erreur (comme dans notre cas), l'addition monte très vite: perte financière, perte de temps, énervement, énergie déployée à se battre contre une boîte noire au lieu de profiter du voyage... Si nous avions lu un tel article avant de partir, nous aurions fait autrement. Donc on l'écrit pour les voyageurs à venir, sait-on jamais, des fois que ça serve à quelqu'un...
PS: Si vous voulez un peu plus loin sur le sujet, nous vous recommandons la lecture du livre Vagabonding: An Uncommon Guide to the Art of Long-Term World Travel. L'auteur a aussi un blog: http://www.vagablogging.net/
Tags : liberté, philosophie
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